Le voyage insolite
J'avançais sous le couvert de feuilles géantes, je devenais liliputienne entre leurs tiges grosses comme des troncs. Le soleil matinal se disputait la présence avec la brume de l'aube venue tout droit des chemins de la nuit. L'air embaumait d'une promesse, d'un vaste espace où je pourrais à nouveau reprendre taille humaine dans le paysage. Dans ma poche des pièces d'or tintaient mais elles ne m'étaient d'aucune utilité, car si j'avais faim il n'y avait ici rien à acheter. Je devais me contenter d'un peu d'eau douteuse d'un immense lac pour étancher ma soif. Au mieux, une source rencontrée au hasard de ma marche pouvait m'être précieuse.
La végétation était devenue dense, et je devais me contenter d'un semblant de chemin qui longeait la rive. Des branches d'arbres inconnus, touffus comme ceux d'une jungle plongeaient dans les eaux troubles. Je me trouvais bien petite devant leur noblesse qui cependant me protégeait comme elle protège les oiseaux. C'est ainsi qu'au crépuscule, après avoir arpenté la densité de la nature sauvage, je me recroquevillais dans un arbre creux en attendant le jour. Mon chemin de liberté était encore à venir, imprécis, laissant mon coeur battre la chamade au moindre bruit, au moindre cri, dans la froidure de la nuit ou l'étouffante moiteur du jour.
L'aube suivante s'annonçait quelque peu différente, le sentier s'était ouvert et je retrouvais peu à peu ma forme habituelle au gré du monde végétal qui m'entourait. Des champs plantés d'arbres fruitiers s'ouvraient, éloignés tout d'abord, comme un mirage à ma vue brouillée par la brume, mais peu à peu devenant réels, remplis de lumière et d'une sérénité sans défaut.
Dans l'étang habillé de lotus chantait une grenouillle qui répondait à d'autres batraciens. Des cônes rosés dans une pureté sans faille s'élevaient au-dessus de la boue, dans l'attente patiente d'un nouveau jour de soleil pour s'épanouir dans la beauté de ce monde. Je restais un moment admirer les frissons des fleurs qui puisaient dans le marécage la force de leur couleur et diffusaient à elles seule une leçon de courage.
Lotus du village des pruniers en Dordogne
Après avoir écouté leurs chants fait de silence et de bruissements imperceptibles, je contournais leur territoire impénétrable et entrais avec émotion dans un vaste verger. Comme je l'avais perçu de loin les arbres fruitiers s'étendaient sur des hectares: pruniers, abricotiers, figuiers et d'autres qui n'avaient point encore atteint leur mâturité. Des fruits verts pointaient au bout de leurs branches qui commençaient à ployer sous leur poids. Terre abondante, prospère, magique, comme un paradis d'où les humains se seraient enfuis ou d'où ils auraient été chassés. Il n'y avait pas âme qui vive, seuls quelques rares animaux de petite taille s'enfuyaient à mon approche.
Cheminant ainsi les pieds nus dans la terre douce, j'arrivais en haut d'une colline. Ce fut un enchantement. Sous mes regards agrandis s'étiraient à l'infini des plantations de buissons d'un vert argenté. Ils ondoyaient avec nonchalance sous le souffle léger de la brise, laissant apparaître entre les ombres et les rayons du soleil des tons de verts brillants, des verts jaunes lumineux et des gris mêlés à des teintes imperceptibles de bleu que le peintre le plus doué aurait eu du mal à reproduire. Puis j'aperçu des triangles minuscules de la couleur du blé émergeant à fleur des feuillages. Ils dodelinaient entre les buissons comme des chapeaux de lutins, et je compris que j'avais atteint une vaste plantation de thé.
Feuille
Photo empruntée