Evasion blanche
Au risque de se perdre, l'évasion est parfois la seule manière de trouver son chemin.
J'avais quitté la piste comme un besoin de laisser derrière moi la foule et le snobisme, d'autres contraintes aussi sans doute...Un peu gauche sur mes raquettes j'avançais lentement, émerveillée par la poudreuse qui habillait si joliment les grands sapins bleutés. Ils semblaient porter ainsi un habit de dentelle et de velours blanc, d'un charme très particulier, séduisant, que je ne me lassais pas d'admirer.
Le chemin partait à l'infini en pente très douce tapissée d'une blancheur immaculée. La neige était retombée durant la nuit et avait recouvert toutes traces des randonneurs de la veille. Sans doute je me cru soudain sur des skies, car je trouvai le moyen de glisser quelque peu en allongeant le pas et en prenant de l'assurance. Je parcouru ainsi plusieurs kilomètres entre les sapins, transportée dans ce monde féerique feutré et silencieux. Seul un écureuil sautant d'un arbre à l'autre fit craquer une branche et une biche traversa le sentier.
Arrivée à la croisée des chemins, j'optais pour "La fourche du loup", un lieu dont j'avais entendu parler et qui était paraît-il merveilleux. Il s'agissait si j'avais bonne mémoire d'une roche en forme de fourche à trois dents qui s'avançait au-dessus du vide et offrait un immense panorama sur la montagne. "La fourche du loup" était encore un peu loin, mais le ciel était clair et je souhaitais tellement la voir! Je suivis les petits panonceaux de bois gris. Le chemin se rétrécissait et bifurquait à plusieurs reprises, mais j'étais nourrie de cette confiance aveugle que procure l'évasion et la clarté du soleil.
Le jour cependant déclinait doucement et sans s'annoncer la brume se leva du sol ou descendit des grands sapins, je ne sais, tant le phénomène fut soudain, accentué par l'altitude que je venais d'atteindre.
Trois clochers l'un après l'autre résonnèrent au creux des neiges en quatre coups assourdis. Il ne me restais plus qu'à rebrousser chemin et à revenir une autre fois. A regret je fis demi-tour tout en guettant les repères des petits panneaux de bois, mais j'avais de moins en moins de visibilité pour les apercevoir. Plus j'avançais plus j'errais dans la neige et le froid qui entrait maintenant dans la danse. La brume se fit brouillard de plus en plus épais, on ne voyait pas à 50 centimètres. Les arbres n'étaient plus que des fantômes endormis contre lesquels je pouvais à tout moment me cogner et la nuit enveloppait déjà la montagne de son grand voile, malgré un ciel encore lumineux très haut au- delà des cimes.
Je me demandais avec angoisse ce que je pouvais faire: avancer ou attendre, crier ou appeler, quand j'entendis le cri d'un loup. Alors, sans réfléchir, je poussais un hurlement sauvage déchirant l'air épais, un cri qui me terrifia.
Après un silence, j'entendis des pas feutrés, des cristaux de neige froissés, des branches craquer, une voix en appels réguliers, et je répondis plusieurs fois pour la guider. Une main enfin se tendit, j'étais comme dans un rêve, sans pouvoir apercevoir la bonne âme venue me sauver. Nous avons avancé pas à pas lentement, presque sans parler, mon esprit aussi embrumé que la montagne. Le vent s'était levé, âpre, mordant, empêchant toute conversation. Je ne sais combien de temps dura cette traversée étrange dont je ne pouvais définir s'il s'agissait d'un enfer blanc, d'un voyage initiatique, d'un no man's land ou d'un purgatoire.
Enfin nous traversâmes une sorte de passerelle entre les sapins, un pont étroit tapissé de neige qui oscillait de gauche à droite à chacun de nos pas. Il semblait que le brouillard s'était peu à peu éclairci, que le soleil couchant reprenait un peu d'audace et nous conduisait sans encombre vers un chalet . Je restais sans voix au-dessus du vide et j'aperçus "la fourche du loup" dans la brume du soir.
Feuille