Une maison sur l'île aux fleurs
De la plage il suffisait d'escalader les rochers pour atteindre le jardin, mais nous préférions prendre la petite route pour ne pas jouer aux voleurs.
Nous n'avions qu'à laisser passer le temps dans cette vieille bâtisse aux volets de bois craquelés et nous profitions du jardin sous la brise des grands arbres qui nous cachaient des regards curieux. La demeure dissimulait des curiosités, des trésors insoupçonnés, des vestiges du temps que nous lisions à la lumières des rebords de fenêtres.
Etrange est le temps quand rien ne presse et rien ne s'oblige. Il s'étire et passe vite au gré des ombres et du soleil. Nous apprenions enfin à ne pas culpabiliser de n'avoir rien travaillé, juste une salade de pissenlits ou quelque autre recette légère. L'aube alors est une boule d'or à l'horizon qui s'offre comme un coeur en pâmoison, le crépuscule bat à son rythme dans les couleurs mauves et rosées qui se posent en aquarelle sur l'océan, et le jour une chanson à apprendre. Parfois nous gardions longtemps le silence pour écouter pousser les fleurs et passer les oiseaux, pour entendre les feuilles se déplier et les marées rouler sur les galets. Des carnets de croquis, des poèmes exquis et des chimères délicieuses jouaient dans l'air du temps à partager. Nous partions en ballade baladines, en quête de récoltes potagères, de coquillages dont nous nous contentions sans avidité, et parfois sans but, juste pour la douceur du chemin et pour quelque rencontre fortuite. Nous étions nourris de ces petits riens passagers qui font d'une journée une essence qui coule jusqu'à nos lendemains.
La Bohème? Pourquoi pas. Je sais seulement que la richesse de ce temps au coeur du temps, de ce monde différent au coeur du monde nous ressourçaient pour longtemps et nous rendaient l'âme plus riche.
Feuille
Aquarelle juin 2011: une demeure de Bréhat.