La première gorgée de soleil
J'ai failli boire "La première gorgée de bière" de Philippe Delerm à la bibliothèque. Je la garde à déguster pour plus tard, un jour d'été de nonchalance, accompagnée d'une boisson à la menthe au soleil. Ma préférence s'est attardée sur "L'homme qui rêvait d'un village" de Jean Paul Malaval. J'étais dans l'esprit de " L'homme qui plantait des arbres", ce genre de livre-sens qui plante le décor comme on sème un jardin ou une forêt. Des détails alors prennent toute leur importance, les volets d'une maison comme une fontaine, un coin de place dans la pénombre du soir comme un chat endormi, une composition éphémère, une particule de land-art entre galets et fleurs. C'est ainsi que se créent les carnets de voyage qui gardent entre leurs pages les souvenirs et les regards, avec quelques gouttes de thé tombées sur la feuille. Pourrait-on peindre un carnet de voyage juste en voyageant dans ses souvenirs ou dans son imagination? Je crois que si je devais perdre la vue, ce sens qui m'est le plus cher, je voyagerai encore à l'infini de feuilles en pays et de gouttes de pluie en fleuves.
En traversant les gorges du Tarn, je l'avais vu ce village innaccessible; une merveilleuse image que je garde comme une gorgée de souvenirs. Et voilà que je le retrouve endormi sous les pages d'un livre, discret, salutaire mais étrange, n'ayant jamais offert son dernier mot.
"Le petit village de Hauterives était resté tel qu'autrefois, un bijou suspendu en sautoir au bord de sa rivière. La seule communication avec la civilisation tenait à un filin d'acier enjambant la gorge par où transitaient, à la force d'un moteur denrées et marchandises. Parmi les sept ou huit bâtisses adossées l'une à l'autre, séparées par d'étroites ruelles, il n'était plus trace de la vie ancienne. L'âge moderne en avait éloigné les âmes, sans espoir de retour. Ainsi le village s'était refermé sur lui-même prisonnier de son environnement sauvage. Forcément, il ne risquait point de revivre, personne n'y construirait un pont d'accès pour le relier à la civilisation. On n'y verrait jamais l'afflux des voitures, ni l'afflux des touristes transumant par cars entiers comme à la Malène, mais seulement des visiteurs de choix, des marcheurs invétérés, des amoureux d'espaces vierges, ou des canoteurs sportifs. Heureux pays qui recèle encore des paradis préservés, des havres de solitude." (Jean-Paul Malaval)
Son jumeau, le village de La Croze
J'emporte le chant de l'eau qui borde le village pour traverser mon week end besogneux entre drames et folies de l'enfance. Puissions-nous dessiner quelque paysage appaisant ou des poissons d'avril vogant entre les pierres, ou encore boire simplement une première gorgée de soleil en traçant nos pas sous les arbres.
Feuille